Marché: Rothschild partage ses convictions
(CercleFinance.com) - Alors que les marchés financiers vivent au rythme des annonces disruptives du nouveau locataire de la Maison-Blanche, la banque Edmond de Rothschild (176 milliards d'euros d'actifs) présentait, jeudi 13 février, un bilan de l'année 2024 et ses convictions pour les mois à venir.
" Il y a deux mois, nous faisions partie des plus optimistes. Jerome Powell (le dirigeant de la Fed, ndlr) nous avait promis des baisses de taux, et on y croyait fort parce que l'inflation était moins préoccupante ", souligne Julien Vincenti, directeur des investissements France chez Rothschild.
Ces baisses présageaient ainsi d'une revalorisation des actions - et de tous les actifs au sens large - ainsi que d'une activité future potentiellement redynamisée.
Néanmoins, les banques doivent toujours composer avec une règle immuable : celle des soubresauts, plus ou moins prévus, du marché. Et Rothschild n'y a pas échappé.
" Il est vrai que la baisse des taux est arrivée plus tard que prévu - mais elle est tout de même arrivée. Nous avions aussi probabilisé l'élection de Trump et nous nous sommes d'ailleurs positionnés assez tôt sur cette thématique. En revanche, nous n'avions pas du tout anticipé la dissolution de l'Assemblée nationale en France ", reconnaît l'expert.
Bien que franco-français, ce séisme politique a vu ses répliques largement dépasser les frontières hexagonales. " Si la deuxième économie de la zone commence à dévier de sa trajectoire de réduction des déficits, un investisseur un peu éloigné de tout ça peut s'interroger plus largement sur la stabilité de la zone ", analyse Julien Vincenti.
La banque a d'ailleurs constaté une réelle fuite de capitaux depuis 2022, avec le début de la guerre en Ukraine, une fuite estimée à quelque 300 milliards d'euros.
" Cela a forcément des répercussions sur les marchés et sur les capacités des entreprises européennes à avoir une bonne valorisation, qui leur permet de faire une bonne croissance. Un capital important, bien valorisé en Bourse, permet par exemple de faire de la croissance externe, d'investir, de se financer ", rappelle-t-il.
Le risque politique et géopolitique a ainsi agi comme un " boulet au pied " du vieux continent et de ses sociétés. De quoi perdre espoir ?
" En l'occurrence, en Europe, ça fait longtemps que l'on n'attend plus rien. Néanmoins, lorsqu'il se passe quelque chose d'un peu moins mauvais qu'espéré, vous avez des marchés qui rebondissent assez violemment. On est donc restés investis en 2024, y compris après la dissolution, et on a même, par deux fois, renforcé le CAC 40, à 7400 puis à 7100, en faisant un simple tableau de probabilité en matière de valorisation et de croissance bénéficiaire. "
Les experts de chez Rothschild sont sûrs de leurs calculs : ils estiment qu'une valorisation de 14 fois les profits, couplée à une croissance bénéficiaire de 6 à 8 %, porterait le CAC au-delà des 9100 points.
" Sans vouloir porter de jugement sur le fond, si l'Ukraine abandonne des territoires à la Russie et qu'on a un cessez-le-feu, le risque politique et géopolitique se réduit : il peut y avoir un retour des flux et des valeurs qui remontent ", analyse le professionnel, qui estime à quelque 10 000 milliards de dollars le potentiel de rotation des capitaux qui pourrait venir réabonder des marchés devenus un peu plus attractifs.
Quant à la situation financière de l'Hexagone, la banque se veut rassurante. " Nous ne sommes pas dans un moment comparable à ce qu'a vécu Liz Truss (l'éphémère Première ministre britannique, qui avait été rapidement désavouée par les marchés après l'annonce d'un budget énigmatique, ndlr). "
" La France a suffisamment d'arguments à faire valoir à ses créanciers pour qu'ils continuent à lui faire confiance ", poursuit le directeur, évoquant les récentes adjudications largement sur-souscrites et pointant des marges de manoeuvre existant sur la TVA, dont le taux reste inférieur à la moyenne européenne.
Dans ce contexte, la banque indique avoir entre 15 et 20 % de son exposition en actions sur les valeurs moyennes, que ce soit en Europe, mais aussi aux États-Unis. " On n'achète pas l'Europe et les U.S. pour les mêmes raisons, mais on veut acheter les deux parce qu'il y a de la croissance et de l'inflation, avec des prévisions de croissance mondiale de 2,7 % pour 2025 et 2026. Et quand il y a de l'inflation, il faut être investi en actions. "
Le directeur rapporte par ailleurs que 81 % des sociétés européennes ont dépassé les attentes et que 16 % sont en ligne avec les prévisions, laissant seulement 3 % de déception.
À ce titre, l'expert estime que l'année 2025 pourrait être assez similaire à 2021, avec un début d'année marqué par une tension sur les taux et une baisse des valorisations dans un premier temps, avant qu'une croissance bénéficiaire ne permette aux investisseurs d'être rassurés en seconde partie d'exercice.
Enfin, commentant le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, Julien Vincenti a été clair : les marchés l'adorent - pour le moment. Les anticipations de croissance aux USA sont d'ailleurs passées de 1,8 % fin septembre à 2,2 % actuellement.
" Les marchés se rappellent que lors de son premier mandat, entre 2016 et 2020, le S&P a pris 80 %. Donc tout le monde se dit que Trump est pro-business et qu'il fera monter le S&P. Ce sera son thermomètre du succès. "
L'expert appelle toutefois à la prudence : la situation de 2016 n'a rien à voir avec celle de 2024, et il ne faut donc, logiquement, pas appliquer la même politique.
" Quand il arrive en 2016, les taux d'intérêt étaient à 1,5 % et le déficit était à 2,5 %. Aujourd'hui, ces mêmes indicateurs sont à 4,5 % pour les taux d'intérêt et le déficit est à 7 %. "
Et de manier la métaphore : " Quand Trump dit qu'il va creuser le déficit, c'est comme s'il donnait des stéroïdes à un sprinter déjà lancé à pleine vitesse. "
Par ailleurs, aussi bien la hausse des droits de douane que les expulsions massives de " migrants illégaux " aux États-Unis (11 millions selon le Département de la Sécurité intérieure) risquent de faire flamber l'inflation.
" Il y en a un à qui ça ne va pas plaire du tout, c'est Jerome Powell, qui se débat depuis des années pour faire revenir l'inflation à 2%.
Donc, si on crée de nouveau de l'inflation alors qu'elle est déjà à 3 %, la Fed pourrait décider de ne pas baisser les taux cette année, et les valorisations n'auront alors aucune raison de monter. "
Même si certains observateurs veulent croire au " pragmatisme " de l'hôte de la Maison-Blanche, Rothschild indique rester " vigilant ", d'autant que le Républicain n'a plus aucun contre-pouvoir.
Il faut donc composer avec les errances du président américain : " Il a dit qu'il appliquerait les droits de douane à hauteur de 25 %, puis laissé un mois de sursis, maintenant il parle de 50 % à partir de lundi... et demain ce sera peut-être différent. Dans les faits, ce qu'il se passe, c'est que plus personne ne réagit...", conclut Julien Vincenti.
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